vendredi 7 mars 2014

Soif de justice

Pierre Joxe

Mon avis : j'ai adoré
Pierre Joxe est un très grand homme politique français. Un de ceux qui me donne confiance en notre République. Socialiste, plusieurs fois ministre (intérieure, industrie, défense), Président de la cour des Comptes, il est aujourd'hui membre du conseil Constitutionnel.

Avant de devenir Enarque, il est avocat. Aujourd'hui "à la retraite" (autant que peut l'être un homme politique), il a revêtu sa robe d'avocat et défend les droits des mineurs. C'est un acte de foi, pour un homme assoiffé de justice...

Ce livre est passionnant. Après son ouvrage "Pas de quartier" sur la justice des mineurs paru en 2012, il égrène pendant un an les juridictions sociales pour préparer cet ouvrage, cris d'alerte sur l'état de nos juridictions sociales françaises.
Le livre se décompose en deux parties : la première expose tout ce à quoi Mr Joxe a pu assister pendant cette année de recherche, puis une seconde partie de raisonnement sur l'Etat social : la tradition esclavagiste française, la construction de l'Etat social en Europe, les hésitations françaises de construction de notre état social, puis vient la conclusion, percutante.
J'ai dévoré la première partie dans laquelle par des exemples concrets il nous explique le fonctionnement et les limites de ces juridictions sociales françaises malheureusement bien trop méconnues : les prud'hommes, les tribunaux des affaires de sécurité sociale, les tribunaux du contentieux de l'incapacité, les commissions départementales d'aide sociale, et les tribunaux administratifs. 
La seconde partie est plus théorique mais tout autant passionnante. J'ai découvert l'impact sur notre droit du passé esclavagiste français, et je me suis régalée de la comparaison fort pertinente des différentes constructions de l'état social en Europe avec une focalisation sur le principe du Welfare State anglais versus le Sozialstaat de Bismarck.
Bref, un livre dans lequel on apprend pleins de choses, accessible à tous, mêmes les plus profanes comme moi, et qui fait réfléchir. Et ça fait du bien!


Quelques citations...
page 52 : "C'est l'un des problèmes principaux du droit social : de même que la loi de 1843 contre la travail des enfants n'a été d'aucun effet pendant un demi-siècle, faute d'une Inspection du travail efficace, de même la loi qui impose des délais brefs à la justice sociale est de nul effet quand le manque de personnel conduit un conseil de prud'hommes à juger en deux ce qu'il devrait expédier dans le mois d'après la loi."
page 94 : "On mesure en correctionnelle, dans les affaires d'accident du travail, à quel point l'absence du ministère public devant le TASS est défavorable aux victimes"
page 183 : "Le Conseil d'Etat lui-même, dans une étude intitulée "L'avenir des juridictions spécialisées dans le domaine social", avait déjà souligné en 2004 l'état très insatisfaisant de ces juridictions administratives et judiciaires : écartèlement des compétences, procédures non précisées par les textes, absence de véritable greffe assurant le respect du contradictoire, insuffisance des moyens, délais de jugement excessifs. Le Conseil d'Etat préconisant alors déjà des réformes."
page 191 : "J'ai vu ailleurs une CDAS présidée par un juge arrivant en retard à l'audience. "On commence?" Et signant aussitôt, sans le lire, le premier projet de décision, en haut de la pile de trente projets que le fonctionnaire qui les avait préparées lui présentait... Les dix premières affaires, concernant toutes les demandes d'aide médicale d'Etat, presque toutes par des étrangers, furent expédiées en moins d'une demi-heure, et je suis sorti avant la fin, tant cet abattage me choquait."
page 207 : "J'ai pu observer l'effroyable carence de l'assistance juridictionnelle devant les juridictions sociales qui n'ont pas, comme les juridictions pour mineurs, l'obligation d'assurer l'assistance d'un avocat."
page 279 : "Les juridictions sociales sont maltraitées parce qu'elles sont à la fois la justice des pauvres et les parentes pauvres d'une justice judiciaire elle même pauvre"
page 294 : "Je crois fermement que si la France a été jadis capable de ces prouesses dans des domaines aussi différents que l'éducation, la conquête spatiale et la construction de l'arme nucléaire, elle peut en accomplir aujourd'hui et demain pour la justice."
page 296 : "On voit à travers ces études que la France est très en retard par rapport à ses voisins européens et particulièrement à l'Allemagne. Le budget total annuel approuvé à la justice dans son ensemble en 2010 en Allemagne représente le double de celui de la France!"

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