samedi 23 août 2014

Mémoires d'une jeune fille rangée

Simone De Beauvoir

Le sujet

Premier tome d'une autobiographie de Simone de Beauvoir, "Mémoires d'une jeune fille rangée" décrit les vingt premières années de la vie de Simone.

Mon avis

J'ai aimé ... à la folie!

Quelle révélation ! 
Cela faisait très longtemps que j'avais envie de lire Simone de Beauvoir, mais c'est un tel monument de la culture française que j'avais peur de m'y frotter.
Mon club de lecture l'a choisi pour notre lecture commune de l'été, je me suis donc lancée.
Et comme je suis heureuse de l'avoir lu... Je me suis régalée, ce livre m'a fait l'effet d'un véritable bonbon, d'une douceur de l'été.
Nous partageons la vie de Simone depuis son plus jeune âge jusqu'à son agrégation de philosophie, ses peines de coeur, ses amitiés, sa vie de famille, son éducation, tout cela dans une écriture magnifique. Bref, un ravissement!

J'ai noté de nombreux passages que j'ai trouvé fabuleux, et je pense que pour donner envie de lire ce livre, ces quelques extraits seront bien plus efficaces que n'importe quelle critique que je pourrais écrire.

Extraits


Page 74 :
"Quand mes parents décidèrent de s'installer dans un 5e, rue de Rennes, je me rappelle mon désespoir : "Les gens qui se promènent dans la rue, je ne les verrai plus!". On me coupait du monde, on me condamnait à l'exil. A la campagne, peu m'importait d'être reléguée dans un ermitage : la nature me comblait ; à paris, j'avais faim de présence humaine; la vérité d'une ville ce sont ses habitants: à défaut de lien plus intimes, il fallait au moins que je les voie."
Alors là, je ne sais pas vous, mais ce petit passage m'a fait l'effet d'une bombe. C'est tout ce que j'ai toujours pensé, sans jamais vraiment l'exprimer. Et de le voir écrit, par quelqu'un d'autre, cela m'a fait l'effet d'une révélation.

Page 73 :
"A l'heure où les façades deviennent transparentes, je guettais les fenêtres éclairées. Il n'arrivait rien d'extraordinaire ; mais si un enfant s'asseyait devant une table et lisait, je m'émouvais de voir ma propre vie se changer sous mes yeux en spectacle. (...) Je ne me sentais pas exclue, j'avais l'impression qu'à travers la diversité de décors et des acteurs, une histoire unique se déroulait. Indéfiniment répétée d'immeuble en immeuble, de ville en ville, mon existence participait à la richesse de ses innombrables reflets; elle s'ouvrait sur l'univers entier."
Là encore, Simone décrit parfaitement ce que je ressens lors de mes ballades nocturnes dans Paris.

Page 76 :
"Mère parfaite d'une petite fille modèle, lui dispensant une éducation idéale dont elle tirait le maximum de profit, je récupérais mon existence quotidienne sous la figure de la nécessité. (...) Mais je refusais qu'un homme me frustrât de mes responsabilités : nos maries voyageaient. Dans la vie, je le savais, il en va autrement : une mère de famille est toujours flanquée d'un époux ; mille tâches fastidieuses l'accablent. Quand j'évoquai mon avenir, mes servitudes me parurent si pesantes que je renonçai à avoir des enfants à moi ; ce qui m'importait, c'était de former des esprits et des âmes : "je me ferai professeur" décidai-je.
Cependant l'enseignement, tel que le pratiquaient ces demoiselles ne donnait pas au maître une prise assez définitive sur l'élève ; il fallait que celui-ci m'appartint exclusivement : je planifierais ses journées dans les moindres détails, j'en éliminerais tout hasard ; combinant avec une ingénieuse exactitude occupation et distraction, j'exploiterais chaque instant sans rien en gaspiller."

Page 92 :
"Quand je dormais, le monde disparaissait : il avait besoin de moi pour être vu, connu, compris ; je me sentais chargée d'une mission que j'accomplissais avec orgueil ; mais je ne supposais pas que mon corps imparfait dût y participer : au contraire, s'il intervenait, il risquait de tout gâcher. (...) Traduisant un texte anglais j'en découvrais total, unique, le sens universel alors que le th de ma bouche n'était qu'une modulation parmi des millions d'autres ; je dédaignais de m'en préoccuper. L'urgence de ma tâche m'interdisait de m'attarder à ces futilités : tant de choses m'exigeaient! Il fallait réveiller le passé, éclairer ses cinq continents, descendre au centre la Terre et tourner autour de la Lune. Quand on m'astreignait à des exercices oiseux, mon esprit criait famine et je me disais que je perdais un temps précieux. J'étais frustrée et j'étais coupable : je me hâtais d'en finir.
Toute consigne se brisait contre mon impatience."


Page 94 :
"J'éprouvais une des plus grandes joies de mon enfance le jour où ma mère m'annonça qu'elle m'offrait un abonnement personnel. Je me plantai devant le panneau réservé "ouvrages pour la jeunesse" et où s'alignaient des centaines de volumes : "tout cela est à moi?" me dis-je éperdue. La réalité dépassait les plus ambitieux de mes rêves : devant moi s'ouvrait le paradis, jusqu'alors inconnu, de l'abondance. Je rapportai à la maison un catalogue ; aidée par mes parents, je fis un choix parmi les ouvrages marqués J et je dressai des listes ; chaque semaine j'hésitai délicieusement entre de multiples convoitises."
Ami lecteur, qui n'a pas ce même sentiment lorsqu'à la médiathèque, face une offre incroyable de lectures délicieuses, on ne sait pas par quoi commencer?
Ce petit passage décrit parfaitement mes escapades à ma si chère médiathèque.


Les deux passages suivants m'ont beaucoup surpris. Mais nous sommes au début du livre, Simone est encore petite et ingurgite les idées de son entourage.
Je les trouve particulièrement intéressants car ils tranchent fondamentalement avec les idées de De Beauvoir adulte.

Page 171 :
" (Mon père) Il n'estimait pas que la qualité d'une femme se mesurât à son compte en banque ; il se moquait volontiers "des nouveaux riches". L'élite se définissait selon lui par l'intelligence, la culture, une orthographe correcte, une bonne éducation, des idées saines. Je le suivais facilement quand il objectait au suffrage universel la sottise et l'ignorance de la majorité des électeurs : seuls les gens "éclairés" auraient dû avoir le droit au chapitre. Je m'inclinais devant cette logique que complétait une vérité empirique : les "lumières" sont l'apanage de la bourgeoisie. Certains individus de couches inférieures réussissent des prouesses intellectuelles mais ils conservent quelque chose de "primaire" et ce sont généralement des esprits faux. En revanche, tout homme de bonne famille possède un "je ne sais quoi" qui le distingue du vulgaire. Je n'étais pas trop choquée que le mérite fût lié au hasard d'une naissance puisque c'était la volonté de Dieu qui décidait des chances de chacun.
En tout cas, le fait me paraissait patent : moralement donc absolument, la classe à laquelle j'appartenais l'emportait de loin sur le reste de la société."

Page 172 :
"Je trouvai terrible le sort des mineurs, enfouis tout le jour dans de sombres galeries, à la merci d'un coup de grisou. Mais on m'assura que les temps avaient changé. Les ouvriers travaillaient beaucoup moins et gagnaient beaucoup plus ; depuis la création des syndicats, les véritables opprimés c'étaient les patrons. Les ouvriers, beaucoup plus favorisés que nous, n'avaient pas à "représenter", aussi pouvaient-ils s'offrir du poulet tous les dimanches ; au marché leurs femmes achetaient les meilleurs morceaux et elles se payaient des bas de soie. la dureté de leurs métiers, l'inconfort de leurs logis, ils en avaient l'habitude ; ils n'en souffraient pas comme nous en aurions souffert. (...) si les ouvriers haïssaient la bourgeoisie, c'est qu'ils étaient conscients de sa supériorité. Le communisme, le socialisme ne s'expliquaient que par l'envie : "Et l'envie, disait mon père, est un vilain sentiment". "

Page 187 (mon passage préféré) :
"Si j'avais souhaité autrefois me faire institutrice c'est que je rêvais d'être ma propre cause et ma propre fin ; je pensais à présent que la littérature me permettrait de réaliser ce voeu. Elle m'assurerait une immortalité qui compenserait l'éternité perdue : il n'y avait plus de Dieu pour m'aimer mais je brûlerais dans des millions de coeurs. En écrivant une oeuvre nourrie de mon histoire, je me créerais moi-même à neuf et je justifierais de mon existence. En même temps, je servirais l'humanité : quel plus beau cadeau que des livres? Je m'intéressais à la fois à moi, et aux autres : j'acceptais mon "incarnation" mais je ne voulais pas renoncer à l'universel : ce projet conciliait tout, il flattait toutes les aspirations qui s'étaient développées en moi au cours de ces quinze années."

Page 231 : 
"Avant la guerre, l'avenir lui (mon père) souriait ; il comptait faire une carrière prospère, des spéculations heureuses, et nous marier ma soeur et moi dans le beau monde. Pour y briller, il jugeait qu'une femme devait avoir non seulement de la beauté, de l'élégance, mais encore de la conversation, de la lecture, aussi se réjouit-il de mes premiers succès d'écolière ; physiquement je promettais ; si j'étais en outre intelligente et cultivée, je tiendrais avec éclat ma place dans la meilleure société. Mais s'il aimait les femmes d'esprit, mon père n'avait aucun goût pour les bas bleus. Quand il déclara "vous, mes petites, vous ne vous marierez pas, il faudra travailler", il y avait de l'amertume dans sa voix. Je crus que c'était nous qu'il plaignait ; mais non, dans notre laborieux avenir il lisait sa déchéance ; il récriminait contre l'injuste destin qui le condamnait  avoir pour filles des déclassées."

Page 238 :
" "Il faut que ma vie serve! Il faut que dans ma vie tout serve!" Une évidence me pétrifiait : des tâches infinies m'attendaient, j'étais tout entière exigée ; si je me permettais le moindre gaspillage, je trahissais ma mission et je lésais l'humanité. "Tout servira" me dis-je la gorge serrée, c'était mon serment solennel et je le prononçai avec autant d'émotion que s'il avait engagé irrévocablement mon avenir à la face du ciel et de la terre."

Page 245
"Je m'abimai dans la lecture comme autrefois dans la prière. La littérature prit dans mon existence la place qu'y avait occupée la religion : elle l'envahit tout entière ; et la transfigura. Les livres que j'aimais devinrent une Bible où je puisais des conseils et des secours ; j'en copiai de longs extraits ; j'appris par coeur de nouveaux cantiques et de nouvelles litanies, des psaumes, des proverbes, des prophéties et je sanctifiai toutes les circonstances de ma vie en me récitant ces textes sacrés."

jeudi 21 août 2014

En Amazonie

Jean Baptiste Malet


Le sujet (éditeur)

Pour son pic d’activité, à l’approche des fêtes de Noël 2012, Amazon recrute des milliers d’intérimaires. Pour la première fois en France, un journaliste décide d’infiltrer un entrepôt logistique du géant du commerce en ligne. Il intègre l’équipe de nuit. Après avoir souscrit au credo managérial et appris la novlangue de l’entreprise, c’est la plongée dans la mine : il sera pickeur, chargé d’extraire de leurs bins (cellules) des milliers de « produits culturels », amassés sur des kilomètres de rayonnages, marchandises qu’il enverra se faire emballer à la chaîne par un packeur, assigné à cette tâche. Chaque nuit, le pickeur courra son semi-marathon, conscient de la nécessité de faire une belle performance, voire de battre son record, sous le contrôle vigilant et constant des leads (contremaîtres), planqués derrière des écrans : ils calculent en temps réel la cadence de chacun des mouvements des ouvriers, produisent du ratio et admonestent dès qu’un fléchissement est enregistré... Bienvenue dans le pire du « meilleur des mondes », celui qui réinvente le stakhanovisme et la délation sympathiques, avec tutoiement. Plus de quarante-deux heures nocturnes par semaine, en période de pointe. Un récit époustouflant. Jean-Baptiste Malet nous entraîne de l’autre côté de l’écran, une fois la commande validée. La librairie en ligne n’a plus rien de virtuel, l’acheteur ne pourra plus dire qu’il ignorait tout de la condition faite aux « amazoniens ».

Mon avis

Rien de vraiment nouveau. 

Mais ce livre a eu le mérite d'apporter un peu de lumière sur les conditions de travail au sein d'Amazon. C'est suite à sa parution et aux articles qui ont ensuite été relayé dans Le Monde et dans Le Monde Diplomatique que j'ai pris la décision de boycotter Amazon. 
Mais je n'ai finalement rien appris avec la lecture de cet ouvrage.

Mais certains propos tenus dans ce livre m'ont gênés car je trouve que ce sont de mauvais arguments contre Amazon. Et des arguments contre Amazon, on en manque pas!!!

Par ailleurs, ce livre qui m'a fait l'effet de la découverte par un jeune homme du monde du travail manuel! Et oui jeune homme, la vie dans les entrepôts est difficile! Mais sachez que ce n'est pas seulement vrai chez Amazon!!!

Tout d'abord, afin qu'il n'y ait pas de malentendu, je boycotte Amazon depuis près d'un an à présent, pour des raisons fiscales principalement.
Je suis donc fondamentalement d'accord avec Monsieur Mallet.
Je vous livre ci-après mes pensées sur Amazon, ponctuées d'extraits de l'ouvrage, qui dans certains cas étayent mon point de vue et dans d'autres cas malheureusement décrédibilisent de mon point de vue l'argumentaire de l'ouvrage.

1 - Les raisons fiscales.
Je trouve anormal que la société ne paie pas d'impôts sur les bénéfices en France. L'extrait du livre suivant relate tout à fait ces raisons :
Page 26
"L'exemple qu'Amazon donne à voir devrait pourtant faire réfléchir à l'heure ou chaque client achetant un produit sur Amazon.fr ne paie presque aucune taxe à l'état français. L'achat n'est en effet pas assujetti à la TVA. Par un savant montage financier dont de malicieux conseilleurs juridiques ont le secret, Amazon.fr execer une action commerciale dont les clients, les stocks (pour la plupart des produits commandés) et les travailleurs se trouvent à peu près tous physiquement en France, mais pour laquelle le tiroir-caisse est situé au Luxembourg. A tel point que pour les exercices de 2006 à 2010, le fisc français a réclamé à Amazon en 2012, 252 millions de $ (198 millions d'euros) d'arriérés d'impôts, d'intérêts et de pénalités liés à la déclaration à l'étranger de son chiffre d'affaire réalisé en France"

2 - L'organisation des libraires en France et la problématique de disposer rapidement d'un livre en passant par son petit libraire.
Par ailleurs, étant une très grosse consommatrice de livres, je tiens à ce que le petit libraire près de chez moi survive! J'ai beaucoup utilisé Amazon durant mes premières années à Paris, car mon libraire n'avait souvent pas les livres que je souhaitais en stock, était obligé de les commander, et cela prend en moyenne 5 jours ouvrés pour en disposer à sa boutique (et je vis à Paris!!!). Je commandais donc allègrement sur Amazon, et étant cliente premium, j'avais le livre le lendemain soir dans ma boîte aux lettres.

Mais ayant petit à petit pris conscience du mal que mon comportement faisait à ces petits libraires indépendants, j'ai décidé d'arrêter de commander quoique ce soit chez Amazon. Ma bibliothèque est suffisamment importante pour que je puisse patienter 5 jours afin de disposer d'un livre commandé par mon libraire.

Cela étant dit, je ne jette pas la pierre à quinconce achète ses livres sur Amazon.
Je connais par exemple un très grand lecteur qui vit dans les Pyrénées, près d'une petite ville non loin de Perpignan (environ 1h), qui pour disposer d'un livre chez son vendeur de journaux (qui vend également des livres pour dépanner puisque le libraire a fermé boutique il y a quelques années), doit patienter jusqu'à 2 mois... Il partage tout à fait mon point de vue sur la disparition des libraires indépendants puisque lui même a travaillé dans l'édition pendant de très nombreuses années, mais face à cette situation, qui ne comprendrait pas qu'il passe par Amazon pour acheter ses livres?!
Moi même à Paris, comme je le disais, pour disposer d'un livre de poche j'attend en moyenne 5 jours en passant par mon libraire, mais pour certains livres en cours de réapprovisionnement j'ai pu attendre jusqu'à 1 mois un ouvrage, alors qu'Amazon le proposait en moins de 24 heures...
Il y a là très clairement un problème d'organisation de la librairie en France, qui ne sait pas faire face à Amazon, ou qui ne s'est tout simplement jamais vraiment organisée, et qui aujourd'hui face à la concurrence d'Amazon ne sait plus quoi faire. Mais Amazon n'est pas coupable sur cet aspect. Amazon n'a fait que clairement rendre visible une défaillance qui a toujours été présente et contre laquelle il me semble que rien ne soit fait.

Le grand lecteur dont je parlais précédemment a longtemps travaillé dans l'édition et m'a expliqué qu'il n'existe (à quelques exceptions géographiques près) aucun grossiste en France, qui achète des livres de tous les éditeurs et les redistribue aux libraires ensuite.
Pour mon libraire, cela signifie que quand je lui commande un livre chez Pions, il doive contacter Pions, afin que cet éditeur lui envoie le livre en question. 
Il doit en faire de même pour le second livre chez Points que j'ai également commandé. Et évidemment, étant un petit libraire, il n'est certainement pas prioritaire dans le traitement des commandes. 
Quand Amazon appelle Pions pour commander des livres qui sont en rupture de stock dans ses entrepôts, l'éditeur est au garde à vous, mon petit libraire lui peut bien attendre...
Quelques grossistes existent en France, ils sont peu, et comme cela représente un intermédiaire de plus entre le libraire et l'éditeur, la marge du  libraire est moindre lorsqu'il passe par ce grossiste pour vendre un livre...
Bref, vous l'aurez compris, cette situation est anormale, mais pour le coup, de mon point de vue, Amazon ne peut en être tenu pour responsable.

3 - La disparition des libraires indépendants
Cette problématique est très clairement liée au 2nd point puisqu'il me semble que si les libraires indépendants disparaissent petit à petit, c'est parce qu'ils sont dans l'incapacité de se réorganiser afin de représenter une force de frappe égale à Amazon.
Mais pas que!
La concurrence déloyale effectuée par Amazon (remise de 5% en plus de la livraison gratuite, réductions fiscales accordées par le gouvernement) a très largement été médiatisée et je n'en remettrai pas une couche ici. Je tiens juste à souligner que de mon point de vue, l'état Français ne fait pas ce qui est nécessaire pour la protection de ces emplois de libraires.
Il me semble évident que lorsque Amazon s'installe en France, dispose d'avantages fiscaux dont les libraires indépendants ne disposent pas, ils créent certes à court terme des emplois intérimaires (et comme le livre le dit très bien, quelques emplois en CDI mais pas tant que ça), mais à long terme, ceux sont les emplois des libraires indépendants qui disparaissent... 
Page 22
"En France, en dépit de la loi Lang dite du "prix unique du livre" limitant la possibilité de remise sur un ouvrage à 5% de son prix de vente fixé par l'éditeur, la concurrence d’intérêt est d'une incroyable violence, pour les librairies indépendantes, grandes ou petites, comme pour les leaders naguère, de la grande distribution spécialisés dans les produits culturels (FNAC, Virgin, etc.).
Amazon pratique en plus de la remise légale de 5%, la livraison gratuite des livres commandés par ses clients. Ces conditions de vente ont déjà fait l'objet d'une bataille judiciaire. Le syndicat de la librairie française (SLF) a assigné Amazon en janvier 2004 pour viol des dispositions de la loi Lang, pour vente à perte et concurrence déloyale, et dommage causé à la profession de la librairie indépendante [...]. La gratuité des frais de port n'est pas une violation de la loi Lang.
Le législateur avait-il en tête qu'il allait être spectateur de la disparitions des points de vente physique du livre? [...]
Amazon vend désormais à lui seul plus de 8% des livres en France."

4 - Les conditions de travail chez Amazon
C'est sur ce point que j'ai trouvé le livre attaquable.
En effet, Mr Mallet semble accuser l'entreprise de faits qui sont tellement classiques (attention cela ne veut pas dire qu'ils sont excusables) dans n'importe quelle industrie qu'ils décrédibilisent pour le moi l'argumentaire du livre (3e et 4e extrait ci-après).

Page 89
"Chez Amazon, pour une nuit d'ouvrage, le travailleur a le droit à deux pauses de 20 minutes. En réalité, si les pauses sont de 20 minutes, le répit est bien moindre. Le responsable du recrutement d'Adecco nous avait prévenu. A l'heure où sonne la pause, il nous faut quitter notre poste et entreprendre la longue traversée des hangars, en direct des tourniquets de sortie. Pour bien comprendre pourquoi la pause effective est réduite, il vous faut ajouter le temps perdu lors du contrôle screening. Ensuite comptez celui utilisé à ouvrir et fermer votre casier où se trouve votre nourriture, indispensable à l'effort physique. Vous y êtes? Maintenant rendez-vous, temps aux WC, temps auquel s'additionne celui consacré à vous lever les mains salies par la poussière, les chariots et les cartons."

Page 122 Mr Malet rencontre un représentant syndical qui lui relate une partie de son historique avec Amazon.
" "Oui il a fallu que l'on fasse grève pour que ces enfoirés fixent une température normale dans le hangar. [...] Pour briser la grève, ils ont quand même essayé un truc dingue. Ils nous ont dit qu'ils avaient spécialement commandé des accessoires contre le froid [...] ils ont distribué des mitaines... [...]. La presse locale est venue couvrir notre grève et il y a eu un article. Après il y a eu une température normale dans l'entrepôt."
Je demande à Simon si c'est suite à cette grève que la direction s'est décidée à installer du chauffage.
"Tu rigoles? Le chauffage était déjà installé! C'est juste qu'ils voulaient faire des économies et ne chauffaient pas, ils laissaient volontairement une température de 15°c dans l'entrepôt" "

Page 55
"Un manager m'expliquera que les intérimaires sont en effet plus contrôlés que les employés en CDI, tout comme les employés les plus en bas de l'échelle - les "associates" - sont plus contrôlés que les leads et managers plus élevés dans la hiérarchie. Au fil des nuits et des multiples passagers par le tourniquet de sortie, mes collègues Mounir et Ibrahim sont davantage contrôlés que moi. Est-ce l'effet du hasard?"
Bien sûr que non ce n'est pas l'effet du hasard, la question est rhétorique. Mais le fait est que c'est la même chose partout. Et comme me l'a dit une connaissance qui se trouve avoir lancé Amazon France, et qui a très longtemps travaillé dans le domaine de l'édition, c'est également le cas chez n'importe quelle maison d'édition.
Plus généralement, je travaille dans l'industrie, c'est monnaie courante. C'est tout à fait scandaleux je suis d'accord, mais s'en étonner en jetant la faute sur Amazon est je pense contre productif. Il faudrait pour bien faire attaquer toutes les autres entreprises coupables de discrimination...

Page 73
"Il s'agit de faire respecter les règles de sécurité [...]. Des règles logiques et évidentes, mais qui prennent chez Amazon la tournure d'une authentique hypocrisie. Pour la direction, cette volonté affichée de "sécurité" se résume à prévenir les désagréments que constituent les accidents dangereux et for usant pour tous les organismes"
Ah oui, parce que pour mon employeur (une des plus grosses entreprises française), il est vrai que lorsqu'il nous assène à toutes les sauces ses messages de sécurité débiles (tels que "tenez la rambarde de l'escalier quand vous prenez l'escalier", "attention en traversant la route, empruntez les passages piétons", "lorsque vous emprunter l'escalier, ne portez pas et votre ordinateur et votre café") c'est uniquement pour notre bien et non pour éviter les accidents qui lui coûtent par la suite des arrêts de travail...  
Je ne sais pas où Mr Malet a travaillé avant Amazon, mais ces messages hypocrites ne sont une fois de plus, pas propres à Amazon, de nombreux salariés en France y ont droit et ces messages sont bien évidemment dans le but d'éviter des arrêts de travail qui coûtent chers à l'entreprise.

Un passage amusant sur le processus de recrutement

Concernant l'état d'esprit vendu aux intérimaires souhaitant travailler chez Amazon, j'ai trouvé amusant la vision du travail en France dans des entreprises françaises de la responsable de recrutement.
Page 39. La responsable de recrutement pour la boite d’intérim explique les avantages à travailler chez Amazon :
"Un autre point positif c'est qu'on s'éclate. Le PDG ne veut pas que l'on arrive la boule au ventre. Enfin dernier point positif, ils payent le repas de Noël. C'est soit le midi, soit le soir. Pour ça Amazon ils sont vraiment mieux que les entreprises françaises. En France ils ne font jamais rien. Amazon c'est des américains ils pensent aux salariés. Il y a des tombolas organisées. Pour la fête de la Musique, ils ont payé le casse-croûte et fait venir des groupes et un mini cirque. Certaines entreprises françaises ne le font pas. Amazon c'est vraiment sympa. Pour Pâques ils ont même organisé une chasse aux œufs sur le parking. Chaque salarié a reçu une cocotte en chocolat."
Excusez ma réaction : LOL!

mercredi 20 août 2014

Le temps où nous chantions

Richard Powers

 

Le sujet (éditeur)

L'histoire nous est contée par Joseph, issu d'un couple mixte : mère noire et catholique, père blanc et juif fuyant l'Allemagne nazie.
Joseph est donc métisse.
Né au sein des Etats Unis des années 50, il est difficile de n'être ni blanc ni noire dans ce pays qui fait encore l'objet de nombreuses discriminations (faut-il rappeler les affaires de Trevor Martin ou de Ferguson plus récemment?).
Joseph est doué, très doué, mais loin d'être aussi brillant que son frère aîné Jonah, doté d'une voix d'ange... Joseph et Jonah (Jojo comme les appelle leur mère) sont donc envoyés rapidement à Boston afin d'y suivre un cursus musical, dans la seule école de la côte est qui accepte ces deux enfants métisses.
Jonah se formera, écrasant par son talent tous les jeunes chanteurs de l'école, puis intégrera la Julliard de New York. Joseph le suivra, comme il le fera toute sa vie durant... pianiste dans l'ombre de son frère prodige qui fera le tour du monde...


Mon avis

Gros coup de cœur

Ce livre est un sacré pavé, mais quel plaisir, quelle merveille!
On y révise l'histoire de l'évolution de l'égalité raciale dans les Etats Unis de ces 60 dernières années. Et quelle histoire... Quelle évolution, et que de travail encore à réaliser aujourd'hui!
Ce livre est glaçant de vérité. Je ne crois pas avoir réalisé la difficulté d'être noir dans ce pays, et encore moins métisse, ce qui est peut être encore plus difficile.
Mais ce qu'il y a de plus beau dans ce livre, c'est la musique.
Pour faire simple, ce livre est une véritable symphonie, une saga familiale, un combat pour les droits civiques, un chef d'œuvre...
Je tiens enfin à faire honneur au traducteur, car le livre en anglais est certainement une merveille, mais la traduction en français est absolument fabuleuse.