dimanche 15 juillet 2012

Les Débutantes

Les Débutantes

J. Courtney Sullivan


Le sujet

Celia, Sally, April et Bree sont quatre jeunes filles qui se rencontrent à l'Université de Smith, université exclusivement féminine.
La première partie relate leur rencontre, leurs années d'université et leur évolution jusqu'au mariage de Sally.
La seconde partie décrit l'hitoire des quatre jeunes filles peu de temps après le mariage.

Mon impression

J'aime ... beaucoup
Un livre pour filles... Mais quel livre!

J'ai beaucoup aimé l'ambiance féminine, voir lesbien auquel je ne m'attendais pas du tout!

Cela m'a donné envie de retourner à l'université.

On suit avec grand plaisir ces quatre filles qui grandissent dans ce monde très protégé et féminin.

Ce n'est pas de la grande littérature, c'est un long roman sans prétention mais très rafraichissant. Parfait pour l'été!

L'ouvrage est divisé en plusieurs chapitres. A chaque chapitre, c'est une des quatre jeunes filles qui nous raconte son histoire et sa vision des évènements.
Pour autant, l'histoire avance, elles ne reviennent pas toutes les sur mêmes évènements.

On les voit passer de la vie d'étudiante à la vie d'adulte, d'où le titre du film d'ailleurs, le commencement... Le commencement de la vrai vie.

Car elles en sont conscientes, la vie qu'elles vivent à l'université est extraordinaire, il s'agit d'un cocon où la vie est douce : études passionnantes et enrichissantes parseumées d'amitié et d'histoires d'amour.

C'est un roman définitivement féministe. Les thèses développées sont d'aillleurs très intéressantes et m'ont beaucoup touché. Je me suis parfaitement retrouvée dans ce livre et dans les positions de April.

Nouveu portrait de la France : La société des modes de vie

Nouveau portrait de la France

Jean Viard

Le sujet (éditeur)

Jean Viard, "l'un des meilleurs connaisseurs du territoire français" selon Michel Feltin dans L'Express, dresse un portrait de la France bien différent des images courantes. La place du travail a évolué, la carte de France s'est transformée, le tri social par origine ou par âge a accéléré. Les choix de modes de vie priment de plus en plus sur les choix professionnels, les vies s'allongent et sont "discontinues", la mobilité virtuelle bouscule la mobilité physique, les extra urbains repeuplent les campagnes... Oui, la France a changé, et elle change tous les jours par une multitude de décisions 
publiques, économiques, administratives, mais aussi privées, familiales, professionnelles. Certes, tout le monde ne vit pas ces changements de la même manière, mais il nous faut renouer avec un récit commun qui dise l'individu face au monde. La France de Jean Viard est une société du bonheur
privé et du malheur public, où nous vivons une véritable dépression collective quand le politique est incapable de saisir le changement, de l'impulser, de l'accompagner. Un souffle d'air sérieux et documenté en période de crise. Salutaire.

Mon impression

J'aime ... beaucoup
Cet homme est passionnant... J'ai décidé de lire son livre après l'avoir entendu dans l'émission "La tête au carré" sur France Inter. Je l'avais trouvé amusant et passionné.

Son livre est effectivement véritablement passionnant. Jean Viard nous y livre son analyse du changement des modes de vie des français. Le pourquoi (la relation des Français avec les vacances, la météo, l'attractivité des villes, etc.) et le comment (développement du réseau TGV, autoroutes, etc.).
Il nous y révèle également sa vision du futur.

Il est tout de même à noter que son écriture n'est pas toujours ce qu'il y a de plus facile à lire...

L'interview

tirée du site Libération : http://www.liberation.fr/societe/01012392078-il-vous-reste-en-gros-400-000-heures-pour-vivre

interview réalisée par Fabrice Drouzy, et Béatrice Vallaeys

Jean Viard est un boulimique. Sociologue et directeur de recherche, il étudie les transformations de la société, l’aménagement du territoire, les questions agricoles, avec un appétit particulier pour la mobilité et les «temps sociaux». Paradoxe chez cet homme pressé , il est intarissable quand il évoque les vacances, les 35 heures, le temps libre. Ex-soixante-huitard, comme il se plaît à se définir, il vit dans le Luberon, où il a installé la maison d’édition qu’il dirige, l’Aube.

La politique est aussi sa tasse de thé. Conseiller municipal de gauche dans le quartier du Panier à Marseille, il est vice-président délégué à l’évaluation des politiques publiques communautaires à la communauté urbaine Marseille Provence Métropole. Dans son dernier ouvrage, Nouveau Portrait de la France, la société des modes de vie, il examine, en se délectant de chiffres, les changements qui ont profondément modifié le pays depuis un siècle et leurs conséquences sur nos vies quotidiennes. Portrait d’un optimiste, qui dément nombre de clichés.
En tant que spécialiste de l’habitat et de l’aménagement du territoire, que pensez-vous de la récente proposition de Nicolas Sarkozy d’augmenter de 30% les possibilités de construction ?

Ce n’est pas mal. Dans l’espace pavillonnaire, la mesure permettrait de créer de la richesse pour les classes moyennes, parce que les propriétaires ont souvent des terrains trop grands à entretenir. En gros, on leur dit : vous prenez 300 mètres carrés, vous faites une petite maison et vous la louez ou vous la vendez. Donc on augmente leur revenu et potentiellement leur retraite, avec une décision administrative qui ne coûte rien à personne et qui correspond à un réel besoin. En Bretagne par exemple, on a fait des lotissements de 300 m2 avec une maison et un terrain. Et cela fonctionne très bien. Car que veulent les gens ? Un point d’eau, un chien, trois arbres, quatre tomates et manger dehors… si possible sans être vus.

La mesure a un sens dans le périurbain. Dans les villes, c’est évidemment plus discutable. Vous n’allez pas laisser ajouter deux étages dans l’immeuble en face de chez vous. C’est d’ailleurs terrible avec Sarkozy, il a l’art de prendre des mesures intelligentes qui ont été réfléchies pour un territoire, d’en faire un grand discours général et, au bout du compte, plus rien. Alors qu’en travaillant dans la dentelle, ça pourrait être intelligent.
Comment ?

Il faut densifier l’étalement urbain dans les lotissements et, en contrepartie, sacraliser les terres agricoles. La moitié de la France est à labourer. Il suffit de dire que l’on n’y touche plus. Alors qu’actuellement, on consomme un département agricole tous les dix ans. Ce n’est pas rien. Prenez autour de Roissy, il y a mille hectares de terres agricoles. Comme on s’agrandit dans cette zone, il est à parier qu’elles seront très vite construites. A côté de ça, on a des friches industrielles dont on ne fait rien, mais bien sûr, c’est un peu plus compliqué à gérer.
Revenons au sujet de votre livre, la transformation de la société.

La France est un pays extrêmement vivant, qui change à toute vitesse, comme le monde d’ailleurs. Ma génération a connu la guerre froide, le communisme en Europe, les dictatures d’Amérique latine, la colonisation, la guerre d’Algérie, maintenant on parle de réchauffement climatique, de crise des identités, de migration du sud vers le nord, alors que nos grands frères s’étaient battus pour qu’elle continue du nord vers le sud. Tout change.
A l’image de l’espérance de vie…

J’adore les chiffres. L’idée de base de ma réflexion est que la vie a augmenté de 40% en un siècle dans les pays développés. L’espérance de vie en France est de 700 000 heures. Je l’exprime en heures, pour éviter une image de l’âge. Si je vous dis «votre espérance de vie est 82 ans», vous voyez une vieille dame. Si je vous dis «700 000 heures», vous voyez une quantité. Nos enfants, surtout les filles, vivront 800 000 heures. En 1900, c’était 500 000 en moyenne.

Quand on a donné le droit à la retraite, en 1945, on a choisi 65 ans, parce que c’était l’âge où les gens mouraient. Ceux qui n’étaient pas morts - c’est une moyenne - avaient le droit de s’arrêter. Tous les autres avaient cotisé pour les survivants, ça allait… Aujourd’hui, pour arriver au même résultat, il faudrait mettre la retraite à 80 ans. On a gagné quinze ans d’espérance de vie.

En 1900, on travaillait 200 000 heures, on en dormait autant, il en restait 100 000 pour le reste : apprendre, aimer, militer, mourir… Aujourd’hui, on dort toujours 200 000 heures [mais pour une vie plus longue, ndlr], car, les nuits de sommeil sont de deux à trois heures plus courtes, notamment à cause de la télévision . De plus, la durée légale du travail en France est progressivement passée à 67 000 heures. Donc, quand vous avez fini de dormir et de travailler, il vous reste en gros 400 000 heures pour vivre. C’est fondamental. Ce temps a été multiplié par quatre en un siècle. Bien sûr, tout n’est pas parfait, il y a des écarts, mais beaucoup moins qu’avant. Reste que la société est vraiment bâtie sur deux piliers, le monde du travail et le monde du temps libre.
Et comment occupe-t-on ce temps libre ?

A peu près 80% des gens partent en vacances. La vie privée, les relations amoureuses, la sexualité ont pris une place énorme dans l’espace social. Avant, la vie populaire à la campagne était dominée par le travail. Les fêtes votives étaient toujours à la fin des récoltes et on avait grosso modo deux bals pour se trouver une fille pour la vie. Au début du siècle, on faisait 1 000 fois l’amour pour engendrer une dizaine d’enfants. Maintenant, on fait l’amour 6 000 fois pour deux enfants…

La mobilité aussi répond à ces critères : on fait, en moyenne, 45 kilomètres par jour : 15 pour se rendre au travail, 15 pour les vacances et 15 autour de chez soi - pour aller au cinéma, faire du sport, rencontrer des amis… C’est-à-dire que les deux tiers de nos déplacements sont «affectifs».

Autre changement radical. Avant, on perdait ses parents vers 40 ans, maintenant, à 63 ans. Ce qui veut dire que l’on vit avec le regard de ses parents jusqu’à la retraite. Qu’est-ce que c’est qu’être adulte dans ces conditions ? Pour la première fois, quatre générations cohabitent dans une même famille.
C’est la base de votre discours sur le «vivre ensemble».

D’abord, je crois que le lien social ne se porte pas trop mal dans notre société, contrairement à ce qu’on dit. Mais le cœur du lien social est entré dans l’espace privé. Avant, l’espace privé était une alvéole avec la vie sexuelle, l’éducation des enfants et la famille. Tout le reste, c’était l’espace public, la maison du peuple pour les uns, l’église pour les autres. Depuis quarante ans, l’allongement de la durée de vie, la diminution du temps de travail, l’agrandissement des maisons ont fait qu’on a massivement développé des relations dans l’espace privé.

On n’a jamais autant vu nos enfants, jamais autant reçu nos amis, jamais autant fait l’amour. Et pour cela, on a construit un équipement nouveau : la maison avec, pour schématiser, jardin barbecue à l’extérieur, cuisine à l’intérieur. Les gens se battent pour avoir des jardins parce que c’est là que l’on développe du lien social privé.

Du coup, cela entraîne une mutation du logement : d’un côté, le bi-logement ville-campagne. En France, il y a 3 millions de résidences secondaires occupées a minima par 4 personnes ; soit 12 millions de Français qui ont deux maisons - toutes les élites sociales sont là. De l’autre, ceux qui n’ont qu’un logement mais vivent à la campagne : ils ne bougent pas régulièrement mais créent du lien social autour de leur maison. 70 à 75% des gens sont entrés dans cette socialisation du lien privé avec, de plus en plus, l’espace virtuel qui vient renforcer ces liens - essentiellement chez les plus jeunes et les plus de 50 ans, aux deux extrémités de la chaîne.
Pas très écologique toutes ces petites maisons éparpillées dans la nature…

C’est vrai mais très vite, je pense que ces pavillons deviendront autonomes en consommation énergétique avec le solaire et le vent, et ils seront tout à fait capables de fournir de l’électricité pour la voiture. Honnêtement, je ne sais pas quel est le bon modèle, mais l’idée que le pavillon n’est pas écologique n’est pas forcément exacte. Par exemple, ces gens-là partent moins en vacances et consomment moins que d’autres. Il faut avoir une approche globale, prendre l’ensemble de nos kilomètres parcourus.

Ensuite, il faut sacraliser le terrain agricole, travailler sur une ville en archipel, avec une campagne intégrée, pensée comme un spectacle pour les habitants. C’est ce que fait Rennes et c’est très intéressant, car généralement, on considère qu’il y a, d’un côté, le rural et, de l’autre, l’urbain : deux mondes qui ne se parlent pas ; on est dans l’un ou dans l’autre. Moi, je pense au contraire qu’on est maintenant tous des urbains ; on regarde tous la même télé, les paysans font leurs courses au supermarché comme tout le monde et leurs enfants vont en ville. Mais on n’habite pas exactement au même endroit.

En fait, on a réunifié le monde vert mais avec des trajets différents : il y a les paysans, les écolos, les jardins, les chats domestiques, etc. Le grand point est : comment refaire du monde vert une seule question. L’homme est un être de nature et de culture. La ville nous a arrachés de la nature, des saisons ; on ne vit plus qu’avec des lumières artificielles.
On ne vit plus sur son lieu de travail…

Démocratie du travail contre démocratie résidentielle. On a séparé les deux. Notre démocratie est devenue résidentielle. Si je veux être réélu, je ne m’occupe que de mes habitants. Et c’est d’ailleurs ce que font la plupart de nos élus. Ils construisent leur électorat par le choix résidentiel. Si je suis à gauche, je fais des HLM. Si je suis à droite, je n’en fais pas et je préfère payer la taxe. Pourquoi ? Pas parce que je suis contre les HLM, mais parce que je suis contre les votes populaires. Je ne veux pas que mon électorat bascule. On a donné aux élus le pouvoir de construire leur électorat. Le monde à l’envers ! Il faut donner le droit d’urbanisme aux grandes métropoles et non plus aux villages. Il est absurde d’avoir 36 000 communes politiques, ça n’a plus aucun sens. Car on sait ce que veulent les gens : du silence, une bonne école, pas d’entreprises, ni de centres sociaux à proximité. Rien. Là ils sont contents. En suivant ce programme, on est sûr d’être réélu.
Vous êtes sûr que les gens sont contents ?

Les trois quarts d’entre eux déclarent être heureux, satisfaits de leur travail, de leur conjoint, de leur vie. C’est le cœur de la société. On peut être heureux en étant très modeste. Certains sont contents parce qu’ils ont une maison, une piscine. Ils sont au Smic mais ont hérité du terrain de leurs parents. Les situations sont multiples. Pourquoi, dans les quartiers populaires, où les habitants sont majoritairement musulmans et pauvres, tout est solidaire ? Le coiffeur, la réparation de voiture, le couscous et aussi un peu le trafic de drogue… A côté, des petits Blancs, qui ont peut-être du boulot mais ne sont solidaires de personne et ont la haine. Qui vit le mieux ?

La société est faite de niches avec des complexités de trajets. Restent 20 à 25% de nos concitoyens qui sont complètement exclus de ces schémas : les 1,5 million de femmes seules avec enfants, les habitants des ghettos urbains… ceux-là méritent toute notre attention.
Donc des Français heureux et qui bougent…

La mobilité, c’est une culture, pas un geste physique. On change de partenaire sexuel, de rapport aux normes, de relation à la distance grâce notamment à la télévision. La mobilité, c’est l’art du changement permanent. On mesure aisément les traces de la mobilité sur le territoire. Passons sur les migrations nord-sud, le rôle du TGV. La discontinuité des pratiques sociales est la règle de nos sociétés. On vit désormais des séries de vies. Avant, on pouvait dire que l’on avait réussi sa vie lorsque tout le quartier se pressait à l’enterrement. Aujourd’hui, ce qui est important, c’est de pouvoir raconter cette vie : «Il a travaillé à Libé, après il a fait un élevage de chèvres, il a trouvé une nana absolument géniale, puis il a été cinq ans en couple homosexuel - on n’aurait jamais cru ça de lui.» Du coup, tout ça devient passionnant. Au risque d’insister, avant, on faisait l’amour 1 000 dans sa vie. Maintenant, c’est 6 000 ! Et si vous le faites 6 000 fois de la même manière, ça devient ennuyeux à mourir. D’où les films érotiques, les pratiques différentes, les aventures…

En politique aussi, les gens sont devenus des zappeurs permanents. Plus la vie est longue, plus elle est faite de séquences. On change de partenaire sexuel tous les huit ans ; 53% des bébés naissent hors mariage ; 61% des électeurs ne travaillent pas dans la commune où ils habitent. Tous ça représente des indicateurs de la mobilité.

La culture de la mobilité a remplacé la culture de la sédentarité de nos grands-parents. Autrefois, jusque dans les années 50, les gens faisaient 5 km par jour en moyenne. C’est toujours la distance moyenne en Afrique, dans les pays pauvres ou dans certaines banlieues. On en fait aujourd’hui 45, avec d’énormes disparités : durant son mandat, Nicolas Sarkozy en parcourt 700 quotidiennement, et les mômes au pied de leur immeuble sont restés à 5. On est entré dans un monde mobile définitif. On aura toujours des nouvelles d’Asie, de Chine.

Jadis, la mobilité, c’était de voir ce qui se passait ailleurs et l’on venait ensuite raconter ce que l’on avait vu. Ce schéma a perduré jusqu’aux années 60-70. Maintenant, rien n’augmente plus vite que les voyages internationaux. On est passé de 700 millions à 1 milliard de vols en cinq ans. Et l’Asie ne fait qu’entrer dans le film.
Que devient la sphère publique dans votre discours ?

L’humanité s’est réunifiée. Dans son histoire, il y a eu trois grandes ruptures. Chaque fois, les contemporains ont été terrorisés, chaque fois, les générations futures ont trouvé ça extraordinaire. Première rupture : la chute de l’empire romain et l’avènement de la culture monothéiste. Deuxième rupture : Christophe Colomb dit que la Terre est ronde et l’on découvre un nouveau continent, ce qui met à bas toutes les représentations de l’espace et du monde. Enfin, troisième rupture, la Terre constate qu’elle est unifiée. On est dans cette phase. Presque personne n’ose plus dire que le Noir est plus près du singe que le Blanc. Il y a toujours quelques imbéciles qui lancent des bananes au PSG, mais c’est tout.

Maintenant, comment passe-t-on d’un discours de tragédie à un discours heureux ? On sort d’un imaginaire du monde pour passer à un autre. Dans cette mutation, chaque identité nationale a des armes. Les Anglais ont une île, une reine, une structure qui ne change pas. Les Allemands, eux, sont dans l’aventure de la reconquête de la Pologne, ils ont retrouvé leur chemin historique. L’Espagne est tournée vers l’Amérique du Sud. Reste la France. Qu’est-ce qui nous rassemble ? Nous sommes une nation très politique. Ce qui nous rassemble, c’est la philosophie des Lumières, la révolution française, la laïcité, la langue française. Ces quatre fondamentaux sont un système de valeurs - les droits de l’homme - qui nous caractérise. L’abandonner et tout s’écroule.
Quel modèle pour les années à venir ?

Il faut se demander comment récréer un projet français collectif. On a réalisé quelque chose d’extraordinaire : on est au cœur du modèle social européen que tout le monde rêve d’imiter. Désormais, on a, au cœur des sociétés, l’investissement sur l’individu. Aujourd’hui, 40% des emplois consistent à s’occuper du corps des autres. C’est une révolution : éduquer, soigner, divertir. Et c’est d’ailleurs parce que l’on a autant investi sur l’homme qu’il est devenu aussi productif.
Il y a quand même un problème de moyens. Quid du surendettement des Etats ?

Ce système doit être renouvelé, et il est évident que le modèle est complexe à financer. Cela dit, je trouve que la gauche ne devrait pas être aussi négative. Le discours devrait être : «Nous avons réussi à augmenter la durée du temps de vie grâce à la santé et l’éducation, nous avons réduit le temps de travail, c’est un succès énorme et nous espérons mondialiser ce modèle.» Seules limites, le rapport à la nature et la montée des nationalismes. L’écologie et les nationalistes sont les deux champs de la politique à reconstruire.
C’est la vision pessimiste que renvoient les hommes politiques…

On dit que les politiques sont coupés des réalités. Il est vrai qu’ils ne rencontrent que deux types de Français, les très riches et les très pauvres. D’un côté, ceux qui ont besoin d’aides, d’un logement, d’un emploi pour leur gamin et, de l’autre, ceux qui sont sur les stratégies de développement, les aménageurs, les patrons d’Auchan.

Mais «le type normal», qui gagne 2 000 euros, sa femme 1 500, qui a deux gosses et une Scénic, celui qui rêve de partir en vacances deux fois dans l’année plutôt qu’une, celui-là, les politiques ne le voient jamais. Et cela se ressent dans le discours de ceux de gauche. On a l’impression qu’ils n’aiment plus la vie, ils croient que la société va mal et comme ils culpabilisent de vivre bien, ils font comme si tout le monde vivait mal. Or ce n’est pas vrai. Je le répète : 75% des gens disent qu’ils sont heureux et tous les indicateurs vont dans le même sens.
Pourquoi cette sinistrose permanente ?

C’est sans doute dû au modèle politique. Avant, on était dans un système simple, la droite gouvernait, la gauche s’opposait. Depuis l’alternance, le changement se fait sur l’exagération des situations négatives. L’opposition a inévitablement un discours destructeur. Et puis, nous sommes dans une société médiatique où tout événement unique - fait divers, catastrophe, accident - prend une place extrêmement importante. Enfin, une constatation toute bête : plus la société a d’objets, plus les objets sont volés. Donc, dans une société de consommation, la délinquance vis-à-vis des objets augmente. Il y a un vrai télescopage entre la richesse et la pauvreté, fortement anxiogène. Mais cela ne veut pas dire que tout va plus mal.
Alors que faire ?

Je crois que ce sont les utopies qui créent les sociétés. J’aime beaucoup Ivan Kremniov, auteur du Voyage de mon frère Alexis au Pays de l’utopie paysanne publié en 1920. Son utopie se résume ainsi : la ville est faite pour se rencontrer, on y vient pour travailler, aller au spectacle, se cultiver, on vit à l’hôtel. Et il y a la campagne, avec les animaux, la nature, les jardins, pour habiter. Cela ressemble assez à ce que l’on vit, et c’est la meilleure utopie du devenir européen.

J’ai fait un livre sur le changement de la société française avec la profonde conviction que les parts de marché qui nous manquent se trouveront à l’intérieur de notre unité culturelle. Si on prend mes fondamentaux - identité, humanité, homme, nature -, la France a des atouts énormes, même si en ce moment, ils semblent avoir disparu. Si vous parlez de la réduction du temps de travail ou de la semaine de quatre jours, vous paraissez obscène. Si vous défendez les 35 heures en disant que c’est la seule mesure féministe que l’on a créée, on vous dit «mais les 35 heures ont ruiné les entreprises». Et les 10% de chômeurs qu’on finance, et les préretraites qu’il faut payer ? Cela aussi ruine les entreprises !

De toute façon, 12% du temps français est consacré au travail. Comme en Allemagne. Pas plus. Quant aux Américains, ils travaillent 30% de plus que nous et polluent 40 ou 50% de plus que nous. Ils produisent plus, OK, mais leurs femmes sont-elles plus jolies ? Non. Ils ont un autre mode de vie. Est-ce le modèle que l’on doit imiter ? Certainement pas.